Changer de paradigme

Management / Stratégie
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Cet article est initialement paru dans le Magazine Htag by Références n°12.
Texte et photos: Christophe Lo Giudice

Penser moins en termes de connaissances et plus en termes de compétences. Tel est le défi auquel font face les écoles de gestion, avec un indispensable changement de paradigme à opérer dans les manières d’enseigner.

La prise de conscience est réelle et certaines institutions sont déjà bien avancées. Brigitte Hudlot cite l’exemple de la Copenhagen Business School qui a développé le Nordic Nine, à savoir les neuf compétences que l’étudiant·e est censé·e avoir développées pour obtenir son diplôme.
« Trois compétences concernent le savoir, trois autres les valeurs et trois autres encore l’action, confie-t-elle.
On y retrouve des valeurs citoyennes, la capacité à gérer les dilemmes éthiques, la capacité à apprendre et celle d’apprendre aux autres ou encore la participation à la prospérité des générations futures. Soit autant de compétences qu’on ne s’attend pas à trouver en école de gestion où, habituellement, on parle plutôt de la capacité à
gérer les finances ou de celle de mener des campagnes marketing. »
Plus près de chez nous, la Louvain School of Management a mené toute une réflexion qui a abouti à une « boussole » reprenant des compétences telles que la capacité à innover et à entreprendre, le travail en équipe, la gestion de projet ou encore la capacité à se développer en continu.

« À l’ICHEC, nous venons de boucler le même type d’exercice, dit-elle.
Sont notamment mises en avant la capacité à se développer, l’adoption d’un recul critique, la capacité de décider avec les autres, celle de développer des futurs souhaitables, à côté de plus classiques communication, collaboration ou encore multidisciplinarité. »
Plus fondamentalement, note Brigitte Hudlot, l’enjeu n’est pas tant de définir de nouvelles compétences que de modifier en profondeur les manières d’enseigner.
Elle l’illustre par la parabole du vieux sage de l’Antiquité grecque téléporté par accident au milieu d’une route en 2024.
« Il croise un professeur d’université dans sa voiture, avec son smartphone sur le tableau de bord, survolé par un avion. Perdu face à tant de réalités qu’il ne connaît pas, il monte dans la voiture du prof pressé de se rendre aux cours. Les deux arrivent à l’auditoire où sont assis 400 étudiants. Le prof monte sur l’estrade et commence à parler. ‘Ouf, se dit alors le sage grec :voilà quelque chose qui n’a pas changé…»
C’est un petit peu faux, mais c’est un petit peu vrai quand même, sourit Brigitte Hudlot.

« Le vrai changement de paradigme ne sera pas de définir les compétences de demain. Là où les choses se compliquent, c’est dans la mise en place d’une véritable approche par les compétences. Elle implique un certain nombre d’étapes.

Partant d’une compétence, il faut définir un ‘savoir agir’ avec des qualités et des exigences observables, qui doivent se développer dans des contextes particuliers – les familles de situations –, en adoptant des postures ou responsabilités professionnelles de plus en plus complexes, qui nécessitent des apprentissages transformationnels,
en provoquant des mises en situation – nécessitant de définir des situations d’apprentissage et d’évaluation – et, seulement à ce moment-là, nous pouvons faire appel à la mobilisation de savoirs, savoir-faire et attitudes – les ressources.»
Or, depuis des centaines d’années, les enseignants partent de ces ressources, en découpant les choses en silos.
«C’est là que des synergies sont indispensables avec les entreprises pour effectuer ce changement de paradigme. Bien sûr, nous proposons déjà des études de cas, des travaux de groupe. Mais si nous n’allons pas beaucoup plus loin, si nous ne mettons pas plus rapidement nos étudiants en situation, nous n’y arriverons pas quels que soient nos jolis cercles, nos typologies ou autres boussoles de compétences ! »

 

Brigitte Hudlot s’est exprimée à l’occasion du séminaire organisé par le magazine Htag le 21 novembre dernier au Comet Meetings Louise